Gilles Bailly a eu 21 ans, puis il en a eu 33, et enfin 42.
De 1996 à 2006, il sévit comme animateur de la revue Salmigondis - dont il est l'un des fondateurs - sans jamais cesser d'écrire en parallèle pour d'autres publications, ce qui dénote une certaine tendance à la dispersion. Ajoutons pour conclure qu'il aime le chocolat, l'Amérique (mais seulement celle du Sud) et toute sorte d'îles désertes.
Gilles Bailly vient de publier son premier roman, Malbosque, chez La Clef d'Argent.
Herveline Bonjour Gilles, alors qu'est-ce que tu fumes ? Parce que Malbosque c'est quand même un sacré délire. D'où t'est venue l'idée ?
Gilles Attention, je te balance toute la genèse ! Après des années passées à écrire des nouvelles qui ne me rapportaient pas un rond, j'ai décidé d'écrire un roman, de préférence un best-seller. C'était en juillet 2004, je dis à ma copine : « je te préviens, cet été je pars une semaine en immersion complète dans le grand vert, il faut que j'en revienne avec une idée de roman. » Alors, j'ai pris ma twingo, une tente, un dictaphone et je suis monté vers l'Ardèche, avec le vague projet d'arriver jusqu'en Auvergne. Tout en roulant, dictaphone entre les cuisses (très dangereux), j'ai commencé à enregistrer mes impressions. Le soir, dans ma tente igloo, je retranscrivais tout ça sur du papier et réfléchissais à une trame possible. Seulement, les jours passaient, j'accumulais vocalises et pâmoisons face à la beauté du paysage et rien d'autre. Rien ne venait. De retour au bercail, j'ai alors décidé que la meilleure solution était de prendre comme point de départ ce que j'avais vécu. D'où le personnage de Twingoman (ou Touinge), l'écrivain raté parti chercher l'inspiration dans la France profonde...
A partir de là, il n'y avait qu'à se laisser glisser dans le sens de la pente, même lorsque ça montait (après tout une montagne n'est qu'un gouffre inversé, non ?). Et tout ceci, pour répondre à ta première question, sans apport de substances hallucinogènes, ou alors dans des proportions n'excédant pas la limite du raisonnable.
Herveline On rencontre des tas de personnages, chacun ayant leur propre parcours, leur propre métamorphose. Les objets aussi, d'ailleurs. Rien n'est jamais figé, comment expliques-tu cela ?
Gilles La meilleure réponse est à trouver dans la bouche de mon éditeur, Philippe Gindre, qui parle à propos de Malbosque d'une entreprise de « bordélisation du réel ». En fait, j'avais vaguement entendu parler du concept d'entropie ; tu sais, ce truc de physiciens qui dit que l'Univers s'achemine vers un état de plus en plus désordonné de la matière ? J'avais envie de voir ce que ça donnait dans une narration. Ensuite, d'autres thématiques ont affleuré pendant que j'écrivais, comme celles de la gémellité, de la dualité, de la duplicité. J'ai, en outre, cultivé un certain goût pour la mystification, pour l'imposture. J'aime ce qui a plusieurs facettes, ce qui miroite, ce qui chatoie. Rien ne m'irrite plus que le dogme, le solidifié, le fossilisé. L'incertain, le changeant me semblent beaucoup moins inquiétants, car ils contiennent une infinité de portes à ouvrir ou à entrouvrir.
Herveline La nature, l'environnement, l'humain, sont très importants dans ton texte. Des images les plus naïves, façon Disney, aux plus virulentes, version autodafé, tu sembles vouloir pousser pas mal de cris d'alerte. Dis-en nous plus.
Gilles Je n'ai pas particulièrement eu comme objectif de m'ériger en porte-drapeau de ceci ou cela. Mes « cris d'alerte », sont souvent à prendre au second degré. L'unique cause sincère, si je puis dire, est cette attention portée à la dimension naturelle. Mais dans Malbosque, l'insistance sur l'aspect environnemental dérive aussi - et avant tout - de mon expérience d'écriture « impressionniste » (le dictaphone faisant office de chevalet) lors de mon propre périple dans le Massif Central. Face à la beauté des paysages que j'ai sillonnés et que je fais sillonner à mes personnages, le plus indécrottable des urbains irait, de retour chez lui, prendre immédiatement sa carte dans un parti écologiste ! Ou, du moins, j'ai la faiblesse de le croire. Quant à l'allusion au monde de Disney, je me sers plutôt de ce dernier comme un contre-modèle : l'univers édulcoré et conformiste qu'il propose me fait horreur. Pour le reste, il est indéniable qu'au travers de mon écriture transparaît quelque chose de mes orientations philosophiques, politiques, une coloration métaphysique, etc. mais cela n'a pas été un objectif d'écriture.
Herveline Malbosque surfe sur plusieurs genres littéraires, le récit de voyage, le voyage initiatique, le merveilleux, le fantastique, l'absurde, l'humour, l'onirisme. N'as-tu pas peur d'avoir trop donné d'un coup ?
Gilles En France, on a la regrettable tendance à vouloir toujours tout cloisonner, étiqueter, estampiller. Dans les matières artistiques, on aime les genres purs, les créateurs se consacrant à un seul type de carrière. Sinon ça fait brouillon, amateur. C'est sans doute un héritage de notre esprit cartésien. Le même - soit dit en passant - qui, en politique, a conduit à un centralisme dévastateur pour la diversité culturelle et les langues de nos régions. Et je passe sur l'égalitarisme pédagogique confinant au conformisme totalitaire dont est en train de mourir l'école de notre pays. Grrr ! Mais... je m'égare. Comme lecteur, j'ai, en ce qui me concerne, été pétri de plusieurs univers littéraires, lesquels ont aussi façonné l'écrivain que j'essaye d'être. Certes, comme tout roman de débutant, Malbosque contient indubitablement des maladresses, des faiblesses, des manques mais une chose semble ne faire aucun doute auprès des quelques lecteurs de mon roman qui se sont exprimés sur le sujet : ils ont eu entre les mains un OVNI littéraire. Rien ne me fait plus plaisir lorsque j'entends un tel jugement, car c'est très exactement ce à quoi je me suis efforcé de parvenir. Quant à savoir si j'aurais « trop donné d'un coup », je ne sais pas. J'aime assez l'idée d'un écrivain qui se livrerait en une oeuvre unique, définitive, péremptoire. Ca n'arrangerait pas mes finances, mais je trouve ça romantique.
Herveline L'allusion répétée à Jules Verne, les péripéties de Stevenson au travers des Cévennes, Walt Disney, et la publication de ce roman chez La Clef d'Argent à l'orientation fantastique très marquée, nous interrogent sur tes goûts, tes références, tes sources d'inspiration. Elles semblent très hétéroclites.
Gilles Les lectures qui m'ont marqué ? Dans la catégorie roman d'aventure, outre Jules Verne, on trouve Vladimir Obroutchev, Frison Roche, Jack London, James Oliver Curwood, auxquels j'ajouterais Patrick Süskind. Du côté du roman d'anticipation, il y a principalement Jean-Pierre Andrevon, Barjavel et Robert Merle. Chez les auteurs de fantastique, c'est, sans aucune hésitation, Buzzati, Calvino, mais aussi d'autres italiens comme Stefano Benni, Alessandro Baricco, Niccolò Ammaniti, sans oublier bien sûr quelques russes (Kafka, Gogol...) Parmi les auteurs plus récents, citons Georges-Olivier Chateaureynaud. Enfin, la veine surréaliste, l'absurde, l'humour décalé : Beckett, Ionesco, Vian, Queneau, Roal Dahl, Gianni Rodari, Pierre Desproges, Raymond Devos... Je ne finirai pas cette (très) longue énumération - mais on me pose des questions, je réponds - sans citer Giono et sa langue, son lyrisme, sa veine poétique.
Dans quelles proportions retrouve-t-on trace de ces influences dans mes écrits ? Mystère. Mais y a-t-il vraiment quelqu'un que cela intéresse ?
Herveline Ta forme littéraire de prédilection est la nouvelle. Alors que représente Malbosque dans ton évolution littéraire ? As-tu déjà d'autres projets ?
Gilles Malbosque est - volontairement ou non - à la ligne de partage des eaux entre ma période nouvelles et une autre qui s'annonce, j'espère, faste. Pourtant, ce n'est pas le premier roman que j'ai écrit. Il a été précédé, il y a plus de dix ans, par un récit de science-fiction que l'on pourrait qualifier « d'oeuvre de jeunesse » et qui n'a jamais trouvé d'éditeur (ceci expliquant sans doute cela). Entre 2007 et 2008, j'ai commis un polar loufoque que je cherche à caser. Depuis quelques mois, je suis sur un quatrième roman destiné au secteur jeunesse. Sinon, je rassemble des nouvelles pour un éventuel recueil, mais chuuut, il tout à fait prématuré d'en faire mention...
PS :
Herveline Pourrais-tu nous donner la recette de la pipistrelle aux champignons ?
Gilles Bien sûr : tu prends des pipistrelles et tu les fais cuire avec des champignons. Je suis écrivain, pas cuisinier ;)
Interview réalisée en juillet 2009 par Herveline
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Bibliographie (mise à jour au 18/07/09)
Nouvelles en anthologie
2000 - Phagocytose dans Villes au bord du monde (Le Jardin d'Essai) en ligne
2000 - Le complot dans Une Anthologie de l'Imaginaire (Rafael de Surtis)
2001 - Au creux des heures veuves dans Bestiaire du Jardin (Le Jardin d'Essai)
2001 - L'île d'Arthur dans Les Chevaliers sans Nom (Nestiveqnen)
2002 - La dispersion dans Nos pirates (Nestiveqnen)
Nouvelles en revues
1996 - Aucun fondement logique dans Casse n°19-20
1997 - Una conclusione inevitabile (trad. en italien par F. Gabrielli) dans Càlamo n°19-20
1997 - Déluge de Sarajevo sur bombes dans Gros Textes n°15
1997 - La cité méconnue dans Les cahiers du ru n°30
1998 - Arrivée d'un métro en gare d'Athélia dans L'encrier renversé n°38
1998 - Cérémonie d'ouverture dans Pris de peur n°7
1998 - Le jour où la Lune tomba sur la Terre dans L'anacoluthe n°7
1998 - Le cycle du chien dans Supérieur Inconnu n°10
1998 - La groupie du chauffeur de bus dans Les nouveaux cahiers de l'Adour n°31
1999 - Le complot dans Nord n°33
2000 - Célibataire endurci et Journal infime dans Martobre n°5
2000 - Le môle et l'alchimiste dans Art Le Sabord n°55
2000 - L'homme et la rivière dans Gros Textes n°25
2000 - Le môle et l'alchimiste dans Le Codex Atlanticus n°9
2000 - Et je buvais du sang cuit dans une écuelle d'osier dans Hespéris n°6
2006 - La solution Battló dans Le canard en plastic n°1
2008 - L'exclusif dans Codex Atlanticus n°17 en ligne
Roman
2009 - Malbosque (Éditions la Clef d'Argent)
Blog de Gilles Bailly : http://gillesbailly.hautetfort.com/