Arthur Bernard - Tout est à moi, dit la poussière (2016) - ed. Champ Vallon

Arthur Bernard - Tout est à moi, dit la poussière (2016) - ed. Champ Vallon

Quatrième de couverture
Il y a Arthur Bernard, l'auteur, le narrateur qui court toujours derrière les autres noms. Il y a Arthur Ferdinand Bernard ou AFB, apprenti relieur de dix-huit ans à Montparnasse en 1890, également apprenti assassin puisqu'il ratera son crime et même son châtiment. Condamné à mort, il sera gracié et transporté à la Nouvelle-Calédonie. Le dossier sur lui aux Archives s'arrête en 1895. Alors on va lui inventer une suite.
C'est là-bas qu'il deviendra vraiment relieur et notamment de L'Odyssée. Il construira aussi des cerfs-volants dont un oiseau géant capable de l'élever dans les airs, au-dessus de l'océan. Il ne reviendra jamais. Tout appartient à la poussière, cette insatiable. Elle dissout les morts et protège les livres que liront les vivants.


Très belle surprise !

"Les livres ont leur destin".
Et c'est vrai. Certains livres n’arrivent pas par hasard dans vos mains. Il faut un petit coup de pouce du destin comme, par exemple, une connaissance de l’écrivain, quelques critiques dithyrambiques partagées sur facebook qui titillent la curiosité, et me voici à prendre contact avec l’éditeur concerné. C’est comme ça que, parfois, on tombe sur des objets littéraires atypiques mais délicieux.
Pour ainsi dire, j’aborde l’œuvre d’Arthur Bernard par la face nord ou plutôt ce destin précité m’y a conduit puisqu’en fait l’auteur a commis un roman d’anticipation, Paris 2040 aux éditions Parigramme (que j'ai découvert après le démarrage de ma première lecture), mais il aurait été moins aventureux pour moi de commencer par celui-ci. C’est donc par celui-là, Tout est à moi, dit la poussière que je me glisse dans l’imaginaire de cet auteur.
Ce qui frappe d’entrée dans ce que Arthur Bernard nomme son art-roman, c’est le style et le ton. Exercice de style serait même plus approprié. La disposition des mots et des pensées tient plus du poème en prose, voire de la prose en vers (si c’est possible). On est happé par la drôlerie des associations d’idées, les jeux de langages et de grammaire, la souplesse du verbe et de l’image, la finesse des références. Lu à haute voix, on en découvrirait sans doute (en fait c’est sûr) une musicalité minutieuse et délectable.
A commencer par l’aspect littéraire et stylistique de la chose, on pourrait croire en l’absence d’un récit romanesque linéaire et plus en une sorte d’introspection égocentrée et auto satisfaisante apposée sur le papier d’une façon telle que l’on devine la jubilation intellectuelle de l’auteur à jouer avec son lecteur dans une introduction par bien des côtés loufoque. Détrompez-vous. Certes peu commun, ce roman possède une histoire.
Celle d’un auteur en quête perpétuelle de pseudos et d’identités autres et à défaut de s’appeler Personne (ou Tout-le-monde) comme il l'aimerait et à force de recherches incessantes sur sa Machine de tous les savoirs (comprenez Internet), le voilà capté par l’histoire d’un certain Arthur Ferdinand Bernard, né en 1872 et envoyé au bagne en Nouvelle-Calédonie. Sa presque homonymie, mais aussi sa quasi non-histoire incite l'auteur à faire sienne sa biographie, et à lui d’imaginer sa vie.
Vous comprendrez vite que derrière cette nouvelle « identité », l’auteur le vrai, n’est jamais bien loin, prêt à toutes les digressions intellectuelles et littéraires citées plus haut. Et c’est ainsi, qu’évoquant tour à tour l’ Odyssée d’Homère, le « bateau bourré » de Rimbaud (La Rimb, comme il se plait à l’appeler), le Ferdinand de Céline ou de Pierrot le Fou en passant par un grand nombre de références littéraires ou cinématographiques, les traits d’un autre Arthur Bernard se dessine, se prédestine.


Ce petit scélérat, relieur dans sa vie du moment, accusé d’un assassinat programmé qui finalement n’aura pas lieu, condamné à mort avant de revenir à la vie par une grâce inattendue mais bagnard en devenir, ne laisse que peu de trace de son existence. Aussi Arthur Bernard, l’auteur, se plait-il à imaginer une suite à quelques comptes-rendus judiciaires bien pauvres et le récit qui démarrait d’une façon tout à fait loufoque, prend une tournure plus aventureuse, emprunte de mélancolie et à la limite du roman de vie, du roman initiatique où son double sans grande profondeur devient sans avoir rien demandé le héros d’une histoire qui n’est plus la sienne puisque totalement inventée par son raconteur.
Le roman, bien que sans aucun chapitre, se délimite insidieusement en deux parties : celle où l'auteur interfère constamment dans le récit avec la forme de prose évoquée plus haut et celle, de narration plus linéaire, qui laisse place entière à son personnage. Un personnage de plus en plus touchant et charismatique que l'on suivra plusieurs décennies encore après son exil forcé sur la route de la rédemption, devenu ingénieur cerf-volantier, une gloire, une figure de son île et qui croisera avant son destin tragique le poète Jean de la Ville de Mirmont, ou ne croisera pas... (le romancier est filou), Arthur Rimbaud. Car oui ! l'auteur, tel le relieur Arthur Ferdinand, s'emploie ainsi à relier les destins, d'un fil ou d'une virgule, tout au long de ce qu'il nomme son art-roman, un livre de prime abord drôle, loufoque, atypique, musical et d’une grande originalité mais où la poésie, la mélancolie, voire le romantisme, trouvent un rocher où s'ancrer.
Et à la question que se pose Arthur Ferdinand Bernard : " Comment le saura-t'on que j'ai existé ? " Tout est à moi, dit la poussière y répond par le simple fait d'exister.

PS : vous l'aurez compris, chers lecteurs, il ne s'agit ni de science-fiction, ni de polar. Une incartade dans la littérature "blanche" que nous renouvellerons plus souvent dorénavant.

Tag(s) : #LITTÉRATURE, #XIXE, #HISTORIQUE, #NOUVELLE-CALÉDONIE
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