Ron Rash - Serena (2008)

Ron Rash - Serena (2008)

Quatrième de couverture
Situé dans les Smoky Mountains de Caroline du Nord, Serena allie, selon l’auteur, « drame élisabéthain, problèmes environnementaux et richesse de la langue ». L’héroïne, sorte de Lady Macbeth des années 1930, est l’épouse de George Pemberton, riche et puissant exploitant forestier. Ces deux-là sont des prédateurs, prêts à tout pour faire fructifier leur entreprise dont l’objectif est de couper tous les arbres à portée de leur main. Une ambition que vient menacer le projet d’aménagement d’un parc national, pour lequel l’État convoite leurs terres. Pemberton met sa fortune à contribution pour soudoyer tous les banquiers et politiciens qu’il faut, et Serena n’hésite pas à manier fusil et couteau pour éliminer les obstacles humains.
Belle, ambitieuse et intrépide, Serena fascine son mari et ses employés, pour lesquels elle n’éprouve aucune compassion. Et pourtant chaque jour apporte son lot de blessés, voire de morts, tant le métier de bûcheron est dangereux en soi et la nature alentour hostile, quoique magnifique. Le roman prend des allures de thriller lorsqu’elle poursuit de sa haine implacable le fils naturel que Pemberton a engendré avant son mariage et qu’il semble vouloir protéger. Sa fureur vengeresse ira très loin…

Gifsv25.gifNous avions déjà chroniqué son premier roman traduit, coup de coeur unanime des lecteurs, de la presse et de nous : Un pied au paradis. Ron Rash confirme avec Serena son talent, même si, ce dernier est plus complexe, moins "poétique" et souffre de quelques longueurs. Néanmoins on retrouve les grandes préoccupations de l'auteur, la vie rurale, le milieu ouvrier, la précarité, la nature et sa destruction progressive par les grandes entreprises naissantes. Serena se passe dans les années 30 et Ron Rash sait décrire les ambiances et les décors. On y évoque la Grande Guerre, la Prohibition, la crise de 29, l'explosion des banques d'affaire (Rotchild) et l'émergence de la pub avec ce besoin très américain de rattacher à chaque objet une marque. On plonge dans le monde ouvrier et découvrons leur quotidien, la dureté de leur travail, le danger, les superstitions. On suit au plus près les hommes et leur métier ; et leurs réflexions sur ce monde en mutation autour d'eux n'est pas inintéressant. Ce sont eux les héros et la nature évidemment, celle qu'on détruit à coup de hache pour enrichir les patrons, ces exploitants forestiers qui n'ont d'égal que leur ambition. Parmi eux les Pemberton.
Si le caractère du mari est plutôt bien construit, on regrettera une plus grande profondeur psychologique de celle qui donne son prénom au titre du roman. Effectivement, cette Serena, ambitieuse, froide, sans aucun scrupule, manque pourtant de consistance et est peut-être même à la limite de la vraisemblance. Pervertie par l'appât du gain et possédée par une folie vengeresse, on sait pourtant peu de chose d'elle. Elle garde un mystère qui, à mon avis, n''est pas à bon escient. Celle qui devrait être au centre du récit, n'est en fait qu'un prétexte mal exploité pour nous décrire ce qui tient plus d'une chronique sociale que du polar. Finalement on ne s'y attache pas vraiment, ni pas la haine, ni par la curiosité.
L'autre reproche que je ferai, c'est que le style est loin d'être aussi fluide (beaucoup de redondances) et poétique qu'Un pied au Paradis. D'abord on se heurte à de longues descriptions du milieu ouvrier. On y apprend certes plein de vocabulaire, mais cela ralentit considérablement l'intrigue. Ensuite, le choix dans les dialogues (déjà présent dans le roman précédent) d'utiliser de mauvaises constructions grammaticales pour illustrer un milieu où l'éducation n'a pas forcément sa place, est très pénible à la lecture (encore plus si vous faites de la lecture à haute voix). Par contre, il m'a semblé très intelligent d'inventer un personnage, ouvrier comme les autres, parlant avec les mêmes défauts, mais plus érudit, à même de philosopher, de s'ouvrir à la réflexion et de faire preuve de pédagogie dans la limite de sa propre compréhension des choses qui l'entourent. Personnage qui s'oppose à un second, prêcheur illuminé et peu enclin à la remise en question.

Serena est donc une oeuvre littéraire qu'on s'accordera éventuellement à assimiler à du roman noir, mais comme Un pied au Paradis, la frontière entre les genres reste très vague. Il décevra les lecteurs d'intrigues policières ou de thriller et plaira plus à un lectorat de littérature dite "blanche". Pour autant, il est dans son style un peu en dessous d'Un Pied au Paradis mais son approche sociale de cette époque nous rappellera facilement Steinbeck, ou, chez nous, Zola. On sent bien chez Ron Rash une exacerbation liée aux inégalités des chances et un besoin de revenir à des valeurs plus proches de la terre et au moins de respecter cette dernière. Sans doute le fait de placer ces romans dans les années 30 ou 50 est une façon aussi de nous dire que quelque soit la période, les problèmes restent les mêmes et qu'en comparaison de notre monde moderne actuel, finalement les hommes, les idées, la politique ou l'économie ne changent pas vraiment. On s'enrichit comme on peut. Il reste une certaine morale, même si elle passe par la vengeance, celle qui se mange froide, mais qui nous ramène qu'à un seul destin, pas de l'humanité mais à celui de Rachel autre personnage féminin emblématique, qui aurait bien mérité de figurer au titre de ce roman.
Serena est dans le discours clairement plus ambitieux qu'Un pied au Paradis. On ne sort donc pas déçu de ce roman mais l'on espérera que Ron Rash saura renouveler la forme surtout si ces grandes préoccupations restent le fondement de son oeuvre, dans ces prochains récits. Il faut donc lire Serena pour ce qu'il est, un roman social, et surtout, parce que si vous avez adoré Un pied au Paradis, premier roman de l'auteur, il m'apparaît intéressant de suivre son évolution.

Adapté au cinéma par Suzanne Bier en 2014

Ron Rash Serena (Serena)
(Le Masque)

9782253161462

Mots-clés : Années 30, Caroline du Nord, milieu ouvrier, roman noir, ruralité, social, USA, vengeance

Tag(s) : #CAROLINE SUD ET NORD, #USA, #VENGEANCE, #RURAL, #SOCIAL, #NATURE, #LITTÉRATURE, #ADAPTATION TV-CINÉ, #RASH RON
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